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The Truffe Diaries

27 novembre 2018

50 SHADES OF BORDEL(LINE) (hi)

plage école aérobie

Avoir un diagnostic de TPL (oui maintenant on va s’exprimer avec des acronymes de pro de la disjoncterie, TPL c’est Trouble de la Personnalité Limite, tu sauras), c’est un peu comme trouver la fève dans le gâteau et se péter une dent dessus. Après des années à creuser dans la galette, t’as tiré le jackpot certes mais t’en as gros parce que t’as mal et tu vas devoir bouffer de la soupe pendant un bon moment.

En d’autres termes : depuis le temps que tu te tâtais le fion en cherchant ce qui va pas chez toi, t’es content d’avoir trouvé, mais avoir un TPL c’est pas précisément la fête du slip. Bon OK, les personnes souffrant de maladies mentales sympa comme les bipolaires et les schizo l’ont pas trop facile non plus donc on va pas pleurer Causette, mais le TPL, c’est quand même le relou que personne a envie d’inviter à la fête même quand on est 13 à table.

On va se le dire, une journée paisible de la vie d’un.e TPL ressemble à une formidable aventure dans le Space Mountain de Disney, si tu remplaces les planètes du système solaire par d’effrayantes merveilles comme une cafetière qui refuse pernicieusement de fonctionner ou un connard qui te klaxonne le cul. Tu te réveilles le matin au taquet de chez taquito, tu rebondis sur les murs tellement que c’est génial, tu vas au boulot OMG c’est super, et puis quelques heures après, pour des raisons qui restent à éclaircir mais qui ont possiblement à voir avec le fait que ta meuf n’a pas immédiatement répondu à ton texto / ta patronne fait la gueule / Bolsonaro a été élu (rayer la mention inutile), tu touches le fond de la cuvette encore plus bas que le petit bloc de canard WC, et tu as envie de mourir ou au moins de t’enfermer dans les chiottes du bureau pour une petite séance de chialing thérapeutique. A la fin de ta journée t’es complètement cuite, comme celle que tu rêves de te payer à ton PMU favori pour oublier toutes ces émotions.

Pour user d’une autre image : si la vie est un sac de Jelly Beans, avoir un TPL, c’est comme taper dans un paquet de chez Bertie Bott. Tu sais jamais sur quelle saveur tu vas tomber, et les options « sécrétion nasale de belle-mère » et « cocktail pamplemousse-dentifrice » AUSSI sont sur la table. Fondamentalement, tu sais pas très bien qui t’es quand tu te réveilles, et t’es encore moins sûr.e de le savoir quand tu te couches, et ça se peut que tu dormes pas beaucoup entre les deux because anxiété. Alors d’un côté c’est fabuleux, tu te réinventes constamment. De l’autre, tu te sens comme une bouilloire sous pression qui des fois disjoncte et des fois non.

Bon. Je sens que c’est pas clair. Compte pas sur moi pour te faire une revue de littérature et je t’annonce d’emblée que je suis pas psy, donc si jamais tu te poses des vraies questions, je te recommande de lire sur le sujet et d’aller voir des gens plus fiables que moi, comme ton médecin par exemple. Je vais quand même me lancer avec la proposition suivante, qui va être admise sans débat si ça te fait rien (sauf dans les commentaires si ça te tente, pas d’insultes sur les mamans tu connais le principe) : tout le monde est un peu fou. Les personnes vraiment équilibrées et exemptes du moindre petit pète au casque sont une rareté, et la plupart des gens que nous fréquentons au quotidien évoluent joyeusement dans le grand bordel social avec leur carrosserie cabossée et leurs petits traumatismes personnels. C’est pas grave, on survit pareil. Ca commence à devenir problématique quand il y a souffrance, que ce soit la sienne propre ou celle de l’entourage, c’est là toute la nuance entre les traits de personnalité (« je suis colérique ») et les troubles de la personnalité (« je pète des plombs au travail et n’arrive pas à garder un emploi stable »). Pour reformuler : on est malade quand on se sent malade, ou quand on est entouré de plein de gens qui insistent vigoureusement qu’on l’est (et là ça vaut le coup de se demander si on n’est pas entouré par des cons). Selon l’institut national de la santé publique du Québec, entre 13,4 et 14,8% de la population québécoise ont reçu un diagnostic de trouble de la personnalité en 1996 (oui si j’étais journaliste je te trouverais de vraies sources récentes).

La différence entre un trouble de la personnalité et une maladie mentale comme la bipolarité ou la schizophrénie, c’est que dans le cas de ces deux dernières, c’est directement la chimie de ton cerveau qui est fuckée, elle l’est à vie, et t’en prends pour perpète avec des médocs aux effets secondaires folkloriques. Alors que les troubles de la personnalité, bien que nécessitant parfois la prise de médicaments (scoop : pour le TPL à part les antidépresseurs et les anxiolytiques on n’a pas trouvé grand-chose), se soignent essentiellement par le biais d’une thérapie. Du moins quand tu ne bénéficies pas du double effet kiss cool de la comorbidité, qui fait que tu peux avoir les deux à la fois. C’est là que la recherche d’un diagnostic puis d’un traitement devient un vrai enjeu, et si t’es motivé.e pour te sortir des ronces, t’as intérêt à enfiler de grosses bottes de pêche pour aller patauger dans la rivière de caca parce que t’es pas forcément très aidé.e par le système. On y reviendra un autre jour.

Si comme moi on décide d’aller consulter un.e psy, et que devant l’absence d’efficacité des thérapies habituelles, on demande à passer des tests pour comprendre qu’est-ce que c’est donc qu’on a, esti, y'a de fortes chances pour que le résultat des tests se réfère à la classification du DSM pour poser un diagnostic. Le DSM, nous informe notre ami Wikipédia, est le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, soit un ouvrage de référence publié par l'Association américaine de psychiatrie décrivant et classifiant les troubles mentaux. Cette classification est elle-même sujette à de nombreuses controverses, et on l’accuse notamment de créer des maladies permettant de vendre des médicaments ou de décrire des troubles de façon parfois peu claire. Quoi qu’il en soit, quand que c’est la seule forme d’explication faisant du sens par rapport à ce que tu vis, t’es content de la trouver.

La dernière version du DMS, qui est la 5ème, identifie 6 troubles de la personnalité distincts, qui peuvent affecter le fonctionnement des personnes concernées à divers niveaux de sévérité. L’association française pour l’information scientifique  les décrit ainsi : Schizotypique, Limite, Narcissique, Antisocial, Évitant, et Obsessionnel. Ces troubles sont identifiables selon 5 traits et 25 facettes. Pourquoi autant de modulations ? Parce que c’est le bordel. On peut correspondre à la description de plusieurs troubles, à divers niveaux de sévérité, et la classification elle-même évolue constamment (et c’est pas une mauvaise chose, vu que jusqu’en 1976 le DSM considérait l’homosexualité comme un trouble de la personnalité). Par là-dessus chacun.e d’entre nous a son petit caractère. Parmi les TPL  on peut trouver des personnes qui vont péter des plombs dans des colères de proportions bibliques, ou qui vont s’enfiler des pilules comme si c’était du bonbon pour finir aux urgences après ce qu’on appelle une TS (acronymes et professionnalisme dans le vocabulaire de la cramitude, TS = Tentative de Suicide, on retient), ou encore les personnes qui, lorsqu’elles se mettent en colère, au lieu de faire des scènes et casser des potiches comme Cléopâtre dans un film d’Alain Chabat, vont régler leurs comptes avec elles-mêmes à l’aide d’une petite lame de rasoir et d’un endroit calme (ces personnes ont une affection particulière pour les manches longues). Bref trouver un diagnostic et une thérapie qui marchent pour toi dans tout ce merdier, c’est comme chercher une seule fève dans une pièce pleine de gâteaux. Autant te dire va falloir en bouffer de la galette, même quand t’as plus envie.

Cependant je dois dire que, si le jeu en vaut indubitablement la chandelle, ce qui te garde motivé.e, la période de recherche en elle-même a aussi ses intérêts. On peut faire de merveilleuses rencontres et découvertes quand on est en errance diagnostique. S’informer sur les maladies mentales, les traits et les troubles de la personnalité, c’est aussi voir sous un autre jour la société qui nous entoure, mieux comprendre et accepter les petites spécificités de chacun.e, et apprendre à aimer les gens parce qu’ils sont tous un peu cramés, et que c’est ce qui les rend belles, beaux et attachiants, tout comme on espère être reconnu.e et aimé.e soi-même. Même quand on est chiant.e.

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30 septembre 2018

LA LIGNE DU BORD

300px-Marilyndiptych

Marilyn Monroe, TPL soupçonnée, icône confirmée

 

Quand j’étais enfant, je collectais des craintes bizarres à travers la lecture de textes rencontrés de façon aléatoire. Après avoir lu les Nouvelles de St Pétersbourg de Gogol et la critique d’un téléfilm des années 90 décrivant la découverte difficile que fait une lycéenne des sentiments amoureux qu’elle porte à sa meilleure amie, j’avais décrété que mes deux peurs principales étaient d’être lesbienne, et d’être folle. Il me semblait que ces deux états causaient de grandes souffrances, car c’est ce que le monde autour de moi me conduisait à penser.

Des années après, j’ai compris qu’ils sont une chance.

Aucune relation amoureuse n’a été aussi intense et nourrissante que celles que j’ai vécues avec des femmes, parce que le drama féminin multiplié par deux, on imagine ce que ça donne question conversations intenses et réconciliations sur l’oreiller.

Aucune autre raison que le sentiment de foutre le camp aux coutures n’aurait été assez forte pour me pousser d’un pays à l’autre, d’une carrière à l’autre à plusieurs reprises, et de rencontrer des personnes uniques avec qui j’ai vécu des aventures passionnantes au panache douteux comme la fois où on s’est bourré la gueule à la vodka avec des Mongols dans une yourte où pendaient des morceaux de chèvre équarrie, ou encore la fois où on a dormi dans un jardin public à Singapour à proximité d’un couple d’Indiens qui ronflaient pendant qu’un clodo qui parlait japonais pour des raisons inexplicables tentait de me fourguer des cigarettes.

De plus, la souffrance mentale peut être un motif de remise en question constante qui oblige à écouter, apprendre, et essayer de devenir une meilleure personne. En effet, cette chienne d’anxiété qui l’accompagne défonce sans mal la porte du petit huis clos douillet de l’esprit qui dort confortablement installé sur ses dissonances cognitives, et elle le traîne dehors par le slip, l’obligeant à constater, juger, rendre des comptes, repartir sur la route. Une fois qu’on a cessé de la fuir parce qu’on se rend compte que c’est déraisonnable et qu’on n’a plus le budget pour tout l’alcool que ça prend, elle force à l’honnêteté de manière redoutable.

Cependant, pour que la souffrance mentale devienne une alliée ou du moins une compagne de voyage tolérable, encore faut-il savoir qui elle est, et ça peut prendre un certain temps.
Les raisons qui expliquent les difficultés rencontrées par tant de personnes qui cherchent à comprendre la source de leur mal-être vont de l’affection toute particulière que porte l’espèce humaine à la technique de l’autruche quand il s’agit de faire face à ses problèmes, jusqu’aux bonnes vieilles difficultés de diagnostic, une partie du corps médical ayant quand même une fâcheuse tendance à trouver que mais noooon, vous avez rien, c’est dans la tête. Mais justement docteur, justement. Y’a quoi qui va pas dans ma tête ?

Après des années d’errance dans de beaux paysages traversés à la course avec une chienne aux trousses, de belles rencontres se terminant en amours avortées, de jobs qui me passionnaient mais causaient des crises d’anxiété dans les toilettes, et de molles tentatives de thérapie auprès de professionnel.le.s de la santé mentale plus ou moins compétent.e.s, une jeune psychologue québécoise tout juste sortante de ses études qui a eu l’enthousiasme de faire des recherches en-dehors de ses heures de travail a pu mettre un nom sur ce avec quoi je me battais depuis des années. Ca s’appelle un trouble de la personnalité limite, ou borderline personality disorder pour les anglophones dans la classe, et ça se soigne.

A 36 ans, j’apprends enfin que je ne suis pas folle, juste malade, qu’il y a des solutions, et que leur recherche m’a faite passer et me fera encore passer par des endroits où la majorité des gens n’ont pas la chance d’aller parce qu’ils n’ont pas de chienne aux trousses.

J’écrirai plus longuement sur ce trouble dont souffrent beaucoup de personnes, dont certaines passeront peut-être ici par la vertu des mystérieux algorithmes des moteurs de recherche. Je vais d’ailleurs peut-être faire un effort sur la déco pour pas les effrayer. En attendant, si vous arrivez à lire ce message jusqu’au bout sans pleurer du sang à cause des couleurs, sachez-le : on n’a pas le cul sorti des ronces, mais on est au bon endroit pour cueillir les mûres.

Ceux qui sont sur le sentier confortable ne les voient probablement même pas, les mûres.

15 août 2018

LA GUERRE DES TROIS GROS VOLUME 1 : Achille, Agamemnon et Zeus

 

Une lecture empreinte de justice sociale et de références à la Guerre des Boutons

 

Coucou ami lecteur,

 

Ça faisait un moment que j’étais plus passée te voir.

C’est pas que j’aie rien d’intéressant à raconter (je mène une vie d’action et d’aventure dans le domaine du tri des déchets et je compte prochainement te faire un récit haletant sur la meilleure manière de gérer ses poubelles quand on veut briller dans la belle société) mais j’ai été un peu flemmarde jusqu’à maintenant.
Je secoue à présent ma paresse naturelle car en ce moment je vis de grands moments de lecture pour les raison que je vais t’exposer ci-dessous et j’ai décidé, dans l’intérêt de celleux qui passent bientôt un brevet ou un bac quelconque contenant une épreuve de littérature ou de philo, de vous fournir des éléments de culture G, qui, manipulés de la bonne façon tout comme le point du même nom, vous permettront de marquer des points. Et pour ceux qui ont fini leurs classes, il reste toujours les soirées aux Chandelles; ces infos vous seront donc utiles de toutes façons.

Ne me remerciez pas.

Ainsi donc : ayant été sottement éconduite par le bibliothécaire de Victoriaville (l’endroit où j’œuvre pour la plus grande gloire de saint Poubelle) probablement mû par la crainte que je vole ses livres, en ce moment pour mes lectures j’en suis réduite à faire les boîtes en carton abandonnées sur les trottoirs. C’est ainsi que je suis tombée sur une vieille édition de l’Iliade en anglais; c’était gratuit, j’ai pris.

Je m’installai donc au lit avec mon butin et commençai à lire les vers alambiqués; ça se lisait assez bien, et même ça marchait du feu de Dieu comme somnifère naturel. Après quelques pages cependant je tombai sur une scène bien croustillante, et la surprise me réveilla. Malgré les nobles thèmes abordés, les Grecs de l’époque décrits par Homère exhibaient toute la mesquinerie attendue de notre belle société d’aujourd’hui!

Or çà, est-ce que Homère était un bon gros comique maître du second degré qui a entubé son monde, ou est-ce moi qui ai l’esprit mal placé? (Je pense avoir la réponse à cette question.)

Je m’essplique : que ce soit sur l’Olympe ou dans les bateaux des armées achéennes qui assiègent la ville de Troie, ça se crêpe le chignon avec un mordant digne d’un Michel Tremblay ou d’un Louis Pergaud, dans des situations à peu près aussi propice aux grands sentiments et aux faits d’armes exaltants que les chamailleries des gosses de deux villages voisins qui se bagarrent à poil dans les fourrés. Cette constatation m’ayant mise en liesse, je vous fais le résumé des meilleurs moments au fur et à mesure que je les découvre. Pour ceux qui l’ont au programme cette année, sachez que tous les éléments qui suivent sont scrupuleusement  tirés de l’Iliade, du moins de l’édition que j’ai trouvée sur le trottoir. De rien, ça fait plaisir.

Tout d’abord, mise en contexte : on ne revient pas sur le funeste banquet au cours duquel  les déesses se tirent mesquinement la bourre en tentant de soudoyer Pâris pour qu’il leur accorde la pomme gravée des mots « à la plus belle », fruit habilement lancé par Éris, déesse de la discorde, sûrement la même qui a inventé le coup du bouquet de la mariée jeté au milieu d’une meute de demoiselle d’honneur écumantes. Aphrodite remporte la palme de la corruption en promettant à Pâris l’amour d’Hélène, la plus belle femme du monde, et il lui accorde la victoire. Il quitte donc la demeure de son hôte Ménélas et rentre chez lui à Troie avec dans ses bagages l’épouse de la maison et possiblement les petites cuillers de l’argenterie.

On fast-forwarde 10 ans plus tard, et là les Achéens, composés d’une coalition d’armées grecques parties conquérir Troie et ramener Hélène au bercail, s’emmerdent dru sur les plages devant la ville qu’ils assiègent depuis de nombreuses années. Pour passer le temps ils ont déjà mis à sac et pillé avec enthousiasme un certain nombre de cités dans les environs, lesquelles ne leur avaient objectivement rien fait, mais c’était histoire de faire les pieds aux Troyens et de venger Hélène, dont ils sont persuadés qu’elle a été kidnappée contre son gré, bien qu’elle ait troqué un vieux barbon probablement dégueu contre une jeune éphèbe supposé être le plus bel homme du monde, ce qui dans le contexte de liberté de la femme à l’époque est une grande amélioration. Mais je dis ça je dis rien.

La première scène nous offre une belle engueulade entre alliés, durant laquelle le roi Agamemnon se voit contraint de relâcher sa prisonnière favorite acquise lors d’une énième mise à sac; en effet, il se trouve que le père de la demoiselle est un puissant prêtre d’Apollon, et qu’il a convaincu son saint patron de le venger en défonçant la gueule à la piétaille de l’armée des envahisseurs.

Ouvrons une parenthèse pour constater que d’une manière générale, la vengeance exercée sur le petit peuple et les bonnes femmes de toutes classes sociales semble être un des thèmes porteurs de l’oeuvre. Quel que soit le sujet de l’engueulade, elle se soldera invariablement par du massacre de piétaille et du viol de prisonnières. Les prisonnières n’ont pas l’air de disposer de trop d’espace pour s’exprimer (meuf + vaincue = le bas-bout de la chaîne alimentaire), cependant de façon rare et occasionnelle les soldats du bas rang ont le droit à quelques lignes de dialogue. Heureusement les rares fois où les trouffions l’ouvriront, ce sera pour se faire remettre à leur place à coups de canne par les supérieurs qui eux, savent pourquoi il est important d’aller se faire occir; l’ordre social reste donc sauf. Une fois la supériorité des chefs démontrée, on part à la castagne et les conflits se résolvent au choix par une hécatombe en l’honneur des dieux, suivie pas un festin, ou par un copieux massacre suivi d’une mise à sac qui met tout le monde d’accord. Puis d’un festin.

Adoncques, ça fait plusieurs jours qu’Apollon décime en sniper les troupes achéenne avec son arc en argent (il a commencé par les mules du régiment) et qu’on cherche un moyen d’arrêter le carnage. La cause ayant été trouvée, un conseil est organisé, Agamemnon se fait tirer l’oreille car il refuse de rendre son sex toy, Achille est très énervé par cet égoïsme, et ça part en sucette entre les deux rois qui se traitent de tous les noms tels une poissonnière et une charcutière dans un roman d’Émile Zola. Agamemnon finit par se résigner de mauvaise grâce et, ne voulant pas dormir sur la béquille, et souhaitant de plus rabattre le caquet d’Achille qui les lui brise menu à lui dire quoi faire alors que d’abord c’est lui le roi le plus puissant qu’a la plus grosse, il accepte de rendre la fille du prêtre à condition de prendre à la place l’esclave d’Achille, acquise dans des circonstances de consentement similaires (= lol). Le reste du conseil force Achille à accepter le deal, il est très vexé et il passe plusieurs jours à pleurer à chaudes larmes au bord de l’eau. Il finit par demander à sa maman, la néréide Thétis, de convaincre Zeus de donner une leçon à Agamemnon. Thétis s’exécute, toute larmoyante des souffrances de son petit poussin qu’elle nomme l’« homme à la vie plus courte et amère que nul autre », ce qui montre bien son aveuglement maternel étant donné que Achille est quasi indestructible, roi et chef de guerre, et qu’il a pas mal pillé et violé plus faible que lui au cours de sa courte et amère existence.

Ainsi donc elle arrive à l’Olympe, et attrape Zeus un lendemain de brosse alors qu’il revient chez lui après avoir passé  une douzaine de jours à faire le gros party avec tous les autres dieux chez des copains humains. Il est sur le point de se remettre à table, car clairement sur l’Olympe on ne fait rien d’autre que bouffer, quand Thétis l’intercepte et, suivant l’image immortalisée par Ingres, lui chope les genoux d’une main et la barbichette de l’autre afin de le convaincre d’intercéder en faveur de son petit gibus Chichille qui fait rien qu’à se faire embêter.

thetis

-Le premier qui rira aura une tapette
-Parle pas de mon fils comme ça

S’ensuit une scène d’anthologie au moment de la soupe dans la salle à manger familiale : Héra accable Zeus de récriminations car elle l’a aperçu avec Thétis et elle sent qu’il se trame de quoi. Zeus lui répond vertement que ses pensées de mâle sont trop compliquées pour les partager avec elle mais que si elle continue à lui péter les noix, elle va se prendre une ou deux paires de claques qui vont lui calmer sa névrose. Héra, domptée, retourne s’asseoir en silence. Son fils Héphaïstos, le seul des dieux qui semble en branler une dans ce bastringue puisque c’est lui qui a construit les maisons de tout le monde, vient alors prendre la main de sa mère et l’exhorter à aller servir du vin à Zeus pour se faire pardonner car, si elle continue à l’énerver, il va s’adonner à la violence domestique, personne ne pourra la protéger étant donné que le paternel est plus costaud que tous les autres dieux, et ça va ruiner l’ambiance du dîner. Héra, en bonne femme battue qui se vengera plus tard sur plus faible qu’elle, accepte et va servir du vin au gros. Il arrête de faire la gueule. Tout le monde respire mieux. On passe à table.

Je propose qu’on interrompe la lecture ici et qu’on observe un petit moment de réflexion silencieuse devant cette dimension méconnue de l’Iliade en tant que portrait social à la frères Dardenne. Zeus sur l’Olympe qui s’engueule avec sa femme, c’est Gégé qui rentre du bistrot et met une raclée à Simone. On se croirait chez Louis-Ferdinand Céline.  Cette fascinante scène apporte un éclairage nouveau sur la mesquinerie constante d’Héra qui fait rien qu’à foutre la merde dans la vie de tous ceux et celles qui ont obtenu la faveur de Zeus.

Je m’essplique : y’aurait moins de Gérards dans le monde, y’aurait sûrement moins de chiens battus par Simone et moins de familles massacrées par un Hercule rendu fou par l’entremise d’une Héra acariâtre.

Mais je dis ça je dis rien.

 

source de l'image : https://leblogdeloha.wordpress.com/2016/08/13/jupiter-et-thetis-1811/

30 décembre 2017

NOEL DANS LE PARC

 

Montréal, au niveau magie de Noël, vaut les coins les plus  reculés et les plus kitsch d’Allemagne. On ne lésine pas sur les lumignons mignons ni les sarabandes de guirlandes, et y’a foule de boules. Si les élans clignotants sont légions dans les jardins, on voit en revanche peu de poupées de Père Noël grimpant le long des murs, et ça manque pas vu que chez moi ils sont toujours tellement mal faits qu’on dirait des cadavres de pendus qu’on n’aurait pas réussi à décrocher et qu’on aurait enroulés dans une couverture rouge en attendant le dégel.
La neige donne au tout un aspect romantique et charmant, pourvu qu’on sorte dans les quelques heures qui suivent sa chute, avant que les voitures et les chiens en promenade ne l’aient transformée en l’infâme granité de boue et de déjections canines que l’on appelle ici « la sloche ».

Bref, Noël, magie, liesse, féerie et toutes ces sortes de choses.
Il existe pour propager l’esprit des fêtes des animations gratuites sur la place Emilie-Gamelin baptisées « Noël dans le Parc », dont des concerts. Ayant été informée par un camarade de classe de l’existence de cette source de divertissement peu dispendieuse, je décidai de l’accompagner voir un groupe de rock local.
Il se peut que ce camarade soit à nouveau mentionné ici, je vais donc vous le présenter : il a des dreads, un regrettable pantalon de jogging rembourré très efficace contre le froid, et il aime la nature, les animaux, et les gens ; il aimerait probablement même les extra-terrestres s’il en connaissait. En outre il a une belle chatte bien fourrée, ce qui fait que je ne me lasse jamais d’expliquer à ses colocs quand je lui rends visite que je viens « toucher la chatte à Gabriel », car l’ado de 16 ans qui habite mon corps de greluche de 35 refuse de vieillir.

Karma

Future meilleure paire de pantoufles en fourrure du monde.

Donc pour en revenir au groupe, qui se nomme Zen Bambou, j’effectuai une rapide recherche sur youtube et trouvai une chanson d’eux que je vous livre ici. Mise en bouche : il s’agit de ce que j’appellerais de l’emo-rock avec l’accent québécois et le jeune chanteur est à poil pendant la plupart de la vidéo.

 

 Ca promettait.

Je rejoignis donc Gabriel en ville et constatai rapidement que le concert était en plein air d’une part, et qu’il faisait moins 20 d’autre part. Le sol était intégralement verglacé, ce qui permettait aux jeunes de se livrer à des pogos créatifs qui alliaient la grâce d’Eugénia Medvedeva à l’enthousiasme de la fosse durant un concert d’Exodus. Ce spectacle captivant détourna mon attention de la scène, et il me fallut un moment pour réaliser que les organisateurs avaient fait le choix scénique de charger nos musiciens dans une sorte de wagon vitré qui tenait à la fois du studio d’enregistrement et de la vitrine de prostituées à Amsterdam. Le son nous parvenait par des hauts-parleurs sur les côtés et le groupe à l’intérieur faisait de louables efforts pour maintenir l’attention du public malgré quelques pains disséminés de par les morceaux car c’était la fin de session pour tout le monde et, comme l’expliquèrent les musiciens, ils étaient étudiants eux aussi et ils n’avaient pas eu le temps de répéter rapport aux examens. Ils s’en excusèrent. Etant donné que j’avais rendu mes devoirs à la dernière minute possible et, dans un cas, avec 5 heures de retard, je ne jugeai pas. De toutes façons ça commençait à être l’heure de se demander où était la buvette. Je jetai un coup d’œil à Gabriel pour voir s’il y avait une chance de l’intéresser à un verre de schnaps, et le vis en train de glisser discrètement sur la glace en se dandinant sur la musique, certes moins sauvagement que les jeunes téméraires à notre droite, mais avec un désir manifeste de kiffer la vibe. Comme je sentais mes doigts se détacher de mes mains l’un après l’autre, les gants retenant les morceaux et les empêchant de tomber au sol, je craignis d’en arriver à un point où je ne pourrais plus jamais me curer le nez, et je décidai donc de l’abandonner et d’opérer une retraite prudente vers la buvette. Au moment de me laisser tenter par un vin chaud roboratif, je vis qu’ils vendaient des guimauves, aussi appelées shamallows par chez nous, et qu’ils fournissaient le petit bâton pour les faire griller sur le feu. Mon cœur infantile ne fit qu’un bond et je claquai les quelques piasses nécessaires à la satisfaction de cette pulsion régressive.
Je me rendis ensuite auprès du feu qui brûlait au milieu de la place afin de faire fondre mes shamallows. Il se trouvait qu’autour du feu, une partie de la gent sans abri de la ville s’était donné rendez-vous, et tout le monde se serrait donc autour de la bonne flambée coude à coude, à la bonne franquette. Une jeune femme tirait tout le monde par la manche pour savoir s’ils avaient du feu. Ca se chamaillait gentiment. C’était bonne ambiance. Je tentai d’approcher du feu mon shamallow sagement piqué sur son bout de bambou. Il se mit à ramollir d’un air prometteur. Ca se passait pas mal. C’est alors que, avec la fulgurance du serpent, la clocharde en quête de briquet à ma gauche saisit le bâton et plongea mon shamallow dans les braises. Il prit feu immédiatement, ce qui lui permit d’allumer le mégot de joint qui lui pendait à la bouche. Offusquée, je repris d’autorité le bâton et examinai les dégâts. Le shamallow était tout noir. La clocharde entreprit à ce moment pour des raisons peu claires de grimper sur un billot de bois en s’agrippant à moi comme le bébé koala à sa mère. Ne me sentant pas l’âme d’une maman koala pour une personne qui maltraitait les confiseries, je me dépatouillai de son odorante affection et allai me réfugier auprès de mon ami qui continuait à groover de façon prudemment enthousiaste devant le concert. Il refusa de toucher au shamallow noirci et, pour pas laisser perdre, je le consommai moi-même. Il avec un goût de carbone mais c’était pas pire. Je recommençais à avoir frais et m’interrogeais sur la proximité de la fin du concert quand, dans un élan pour reconquérir le public, les membres du groupe ôtèrent leurs t-shirts sur les conseils de leur gestionnaire, « qui dit que c’est un bon move de marketing ». Nous étions donc dehors sur la glace par -20 face à des jeunes à moitié à poil qui jouaient du rock dans un wagon chauffé. De façon totalement irresponsable mais totalement prévisible étant donné l’âge du public, quelques intrépides ôtèrent également toutes les épaisseurs couvrant leur moitié supérieure et continuèrent à pogotter sur la glace, torse poil. J’avais très froid aux tétons pour eux. Il y en eut quand même plusieurs qui conservèrent un cache-nez, leurs mamans leur en furent sûrement reconnaissantes. Je regardai Gabriel avec sévérité, mais il n’avait pas l’air de vouloir faire pareil, sans doute parce qu’il avait mis une parka équitable tissée main dont l’encolure était trop étroite pour s’enlever facilement, rapport aux dreads qui triplaient la largeur de sa tête. Le concert touchait à sa fin, ce qui n’était pas plus mal étant donné qu’une partie du public était au bord de l’hypothermie, bizarrement pas ceux qui étaient à poil mais plutôt les radasses dans mon genre. A peine la dernière (fausse) note lâchée au-dessus de la foule dispersée par la bise (température ressentie : proximité du zéro absolu), nous nous précipitâmes dans le rade le plus proche où des amis étaient en train de vider de pichets, occupation sociale qui fut rondement menée jusqu’au moment où tous les pichets furent vides et où l’assistance décida d’aller dans un autre bar. Je décidai quant à moi de rentrer (remember, radasse).
C’était compter sans la nécessité d’avoir un ticket de consigne pour récupérer le gros manteau. Mon ticket étant irrémédiablement perdu quelque part sur le sol collant du rade, j’avais le choix entre envoyer tout le monde se faire foutre avec leurs canoës et rentrer en petit pull, ou attendre qu’il y ait moins de monde au vestiaire pour pouvoir y chercher mon manteau à mon aise. Dehors il faisait toujours -20 température ressentie zéro absolu. Je décidai d’attendre. La faune bourrée entrant et sortant, on ne voyait pas le bout de la queue du chat des aspirants au vestiaire, et une bande d’enthousiastes charcutait Bon Jovi au karaoke. Le calvaire dura 30 minutes durant lesquelles je passai en revue toutes les erreurs de ma vie pendant que le rock des années 80/90 se faisait sauvagement déchirer par une entreprenante troupe de mélomanes qui sévit sur tous les tubes depuis Alice Cooper jusqu’à Guns and Roses en passant par les Scorpions. Je regrettai amèrement de ne pas m’être noyée dans les shots de vodka. J’envisageai l’hypothèse. Après tout, la queue du vestiaire était encore longue… Au moment où j’allais taper du poing sur le bar pour commander du tord-boyau, la foule autour du comptoir des consignes se clairsema miraculeusement. Après un féroce combat intérieur, je décidai d’aller chercher mon manteau et courir prendre mon bus.
Je deviens trop vieille pour ces conneries. 

27 octobre 2017

CUTIE-REACTION

 

L’autre jour on m'a demandé de rédiger une courte présentation de moi-même pour accompagner un article écrit pour le site de ma fac.
Encouragée par l’exemple d’un(e) ami(e) qui avait fait figurer le mot « queer » dans sa propre présentation, j’ai posé un mini acte militant en ajoutant à la mienne l’acronyme suivant : "LGBTQ". Et j'ai réalisé ce faisant que c’était la première fois que ça m’arrivait, car j'avais toujours soigneusement évité de l'écrire ou de le dire dans l'espace public.
Du coup je me suis dit qu'il fallait finir de sortir la pantoufle du placard. C'est pas tellement que ça m'importe que le monde sache le genre des personnes avec qui je fais tourner les bobettes, c'est plus que je voudrais pas avoir l'air de me cacher.
Adoncques.
Après avoir fait partie des années durant des forces vives de la majorité hétéro dans une société conçue pour moi, un jour dans un bar j’ai rencontré une fille, il y a eu croisement de regards, contact, et collision. Puis comme on se décollait pas, il a fallu assumer. Voici donc ce qui se produit quand, pour reprendre l’expression de la cutie qui m’a fait virer ma cuti, tu passes du côté abricot de la Force.

bistouri
« mais qui fait l’homme? »
crédit photo : ce site de vente de matériel médical


CERTAIN.ES PARMIS TA FAMILLE ET TES AMIS PENSENT QUE TU TE TRANSFORMES EN GOUINE A CRÊTE
Les yeux mouillés par une émotion sincère, on te demande si c’est une révélation pour toi ou si tu l’as « toujours su ». Pendant un instant, tu as le sentiment qu’il y a un horrible malentendu et que les gens pensent que tu leur as annoncé une maladie. Il faut un moment pour réaliser qu’ils parlent de ta gouinerie.
C’est un problème car ils ignorent que fondamentalement, ce qui change chez toi, c’est très exactement rien du tout. Tu ne vas pas magiquement devenir une Femen si ça ne t’a jamais branchée de te mettre les seins à l’air. Tu ne vas pas brutalement te transformer en camionneuse et faire du MMA si de base tu as toujours préféré le cha-cha-cha et les brushings à frange. Mais ils ont quand même peur que tu deviennes quelqu’un d’autre et tu te retrouves paradoxalement dans une situation où c’est toi qui dois rassurer des gens autour de toi alors que tu es en train de plonger dans l’inconnu et que c’est déjà assez compliqué de gérer les émotions d’une meuf ainsi que tes émotions pour une meuf, sans en plus gérer les émotions de ta famille par rapport à tes émotions pour une meuf.

TA CHERE ET TENDRE CONTINUE A TE CONSIDERER COMME UNE HETERO
Si tu as décidé de virer ta cuti avec une personne d’expérience dans le domaine, forcément comparée à elle tu es une petite b… béotienne. Ça a un côté fraîche épousée assez mignon, mais du coup tu es suspectée de dilettantisme lesbien. Par contre les jeunes désœuvrés relous qui marmonnent les mots « eh les lesbiennes » (ou pire) sur votre passage, eux, ne font pas la nuance entre la vraie gouine de carrière et l’hétéro qui s’est égarée sur le gazon d’à côté. Etant pareillement marquée au front du même sceau d'infamie, tu pourrais t’attendre naïvement à pouvoir te réclamer de la même communauté, mais non. Bienvenue dans le monde magique des bi qui, tels Mowgli qui n’est à sa place ni dans la jungle ni dans le village des hommes, ne sont ni vraiment hétéros ni vraiment homos.

LES HOMOPHOBES DE TA FAMILLE RETOMBENT EN ADOLESCENCE
Sans doute pris de cours par la découverte d’un homosexuel dans leurs rangs, certains membres de ta famille peuvent ne pas savoir comment gérer la situation. Et si tu établis clairement que tu assumes ton futur de grillade en enfer et que tu t’attends même à ce que ta chère et tendre soit considérée avec le même respect que tes belles-soeurs, un climat de tension pèse sur les repas communs, des altercations occasionnelles se déclenchent au sujet de ton couple – qui n’en est pas un, qu’on soit bien clairs sur ce point – et pour finir, si tu es gracieusement hébergée par le membre de la famille en question, il arrive que l’on raccroche brutalement au nez de ta compagne quand elle appelle sur le téléphone fixe. Tu vis avec une personne retombée en adolescence.

TON NIVEAU DE TOLERANCE A L’HOMOPHOBIE DIMINUE FORTEMENT
Tu as beau avoir toujours défendu le droit des homos à être malheureux tout pareil que les autres en foirant leur mariage et en se déchirant ensuite au sujet des enfants pendant le divorce, il y a une différence fondamentale entre soutenir ce droit au nom de l’équité et te rendre compte que si tu veux ta robe de princesse, ta pièce montée et ta baby shower, tu auras besoin de ce droit de manière non négociable et qu’en plus, tu vas devoir payer la peau des fesses pour une PMA.  Tout soudain, les chantres de la Manif Pour Tous que tu écoutais auparavant avec une indulgence conditionnée par une enfance commune dans les bacs à sable des fêtes familiales te semblent de dangereux criminels. C’est qu’ils veulent t’empêcher si l’envie t’en prenait de porter une meringue, te faire fourguer devant le maire une bague en or que tu perdras instantanément dans le jardin, et faire une entrée dans la salle des fêtes du village au bras de ta moitié sur un arrangement au synthé du canon de Pachelbel ! Maintenant que l'on sort du débat abstrait car concrètement c’est ta momounette qui est en jeu, la page Facebook de ton cousin militant LMPT devient le lieu de sanglants affrontements.


TU TE RENDS COMPTE QUE TU PEUX ETRE GOUINE ET PETRIE DE PREJUGES
Ce n’est pas parce que tu portes à une autre détentrice du double chromosome X des sentiments d’une mièvrerie qui t’embarrasse, que tu as pour autant d’un seul coup tout vu, tout compris de la grande palette de l’identité de genre et de la sexualité. Tu vas de découverte en découverte et tu passes pour un oursin en apprenant que l’identité de genre et l’orientation sexuelle n’ont rien à voir, et que donc oui, être trans ET gay, c’est possible. Tu découvres aussi qu’il y a des femmes qui présentent un aspect physique hybride et qui se font parfois appeler « monsieur » par erreur sous une certaine lumière et suivant leurs vêtements. Si ton couple est concerné par ce dernier cas, la leçon la plus importante à retenir est la suivante, je te la donne tout de suite pour t’éviter des regrets plus tard : faut pas essayer de la changer. Si elle a envie de faire sa gouine à hélicoptère, c’est son droit le plus strict, et si ça te met mal à l’aise par rapport aux conventions de genre qu’on t’a inculquées depuis ta plus tendre enfance, c’est ton problème, pas le sien.


APRES LA RUPTURE, C’EST COMME S’IL NE S’ETAIT RIEN PASSE
Tes proches te retrouvent un peu comme la maman de la possédée retrouve son enfant à la fin de l’Exorciste. On ne parle pas de cet épisode embarrassant. Tu ne peux pas te permettre d’y faire allusion parce que, déjà, ce n'était pas vraiment un couple, et puis de toutes façons chez les gouines, les couples se font et se défont avec l’aisance des particules qui s’agglutinent et se séparent dans un kaléidoscope, alors faut pas s’étonner, aussi.
Variante :
On admet qu’il y a eu couple et rupture et on te demande si c’est définitif, t’es homo à plein temps maintenant (voir : « inquiétudes de type gouine à crête »). C’est un peu comme demander à ta copine Mireille qui vient tout juste de se séparer de son copain si maintenant elle compte se taper plutôt Jean-Marc ou plutôt Jeanine. Mireille pour le moment elle a envie de se taper personne, merci. A ce sujet je m’adresse spécifiquement aux bi en ajoutant que personnellement, je me suis quand même posé la question, jusqu’au jour où mon petit cœur en train de se recoller m’a ordonné de lui foutre la paix, en ajoutant que je saurais quand il saurait, merci. Et en effet, comme la vie est mal faite, le moment où l’on obtient une réponse à cette question est celui où on retombe amoureux/se, et donc où ça n’a plus la moindre importance puisque l’objet de nos attentions est forcément parfait(e) quel que soit son genre.

Pour conclure ce petit florilège rigolo je précise que la grande majorité de mes amis et des membres de ma famille qui ont eu connaissance de ce virement de cuti ont été adorables et ont immédiatement accepté ma compagne d'alors ou, pour ceux qui ne l’ont pas connue, ont simplement intégré l'info dans leur logiciel sans un battement de cil. (Love sur vos gueules, vous savez qui vous êtes.) Et pour encourager les personnes qui traverseraient quelque chose de similaire et leur redonner foi en leurs proches, je livre ici la réaction de mon petit frère dans toute sa candeur :
« Frangin assied-toi, faut qu’on parle.
« Quoi ?
« Ben écoute voilà, je suis en couple avec une fille. Je suis lesbienne quoi.
« Ah ! ouf tu m’as fait peur, j’ai cru que t'allais m’annoncer un truc grave genre le cancer ! »
<3

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7 octobre 2017

PRINCESSE CISSY

Il y a quelque temps, à la fac, c’était la foire aux associations. C’est un peu comme une foire de l’emploi sauf que c’est pour travailler gratuit mais rigolo à organiser des trucs improbables comme des matches de Quidditch.

Dans un coin se côtoyaient les associations religieuses et les associations LGBTQ. Décrivant un grand arc de cercle pour éviter les VRP de Jésus qui avaient mis le cap sur moi et me fonçaient dessus (je devais avoir l’air d’une bonne cliente avec mon col monté), je tombai pratiquement dans les bras du jeune homme (enfin je lui ai pas demandé, je pars d’une impression visuelle) qui gérait le stand de l’association de défense des droits des personnes trans. Puisqu’on en était rendus à se parler, je demandai ce que moi, non-trans, je pouvais faire pour une association dédiée aux personnes trans. Alors déjà, on dit pas non-trans, on dit cis, M’expliqua-t-il.

Et là je me sentis froissée. Cis ? Pourquoi Cis ? On pouvait pas juste dire « meuf normale nichons ++ avec léger problème d’alcoolisme »? 
Après discussions avec des gens plus doctes que moi, j’ai compris pourquoi non, on pouvait pas. (mais si tu veux continuer à faire référence à mes nichons ++ ça me fait toujours plaisir je me sens valorisée).
J’ai parlé avec Des Gens de non-binarité de genre et je vais tout te raconter afin de te permettre de briller dans les cocktails mondains. Mais avant de laisser la parole aux Gens, je te bricole une petite intro aux concepts évoqués.
Ouvre bien tes mirettes et imagine-toi expliquer tout ça à bonne-maman, une flûte de Ruinart à la main.

le T et le Q
(et là avec cette dernière lettre direct je t’accroche).
Je t’apprends sans doute pas que l’acronyme LGBTQ signifie Lesbienne, Gay, Bi, Trans et Queer. Mais pour rien te cacher y’a autant de versions de l’acronyme que d’identités de genre et sexuelles, voilà par exemple une vidéo qui explique pourquoi y'en a qui écrivent ça LGBTQIP2SAA. Pourquoi autant de mots ? Parce que chacun définit une expérience différente.
Je pense qu’on est à peu près clairs sur les principes de base qui animent les L, G et B, si jamais t’as des questions hésite pas mais en gros l’appellation est liée à la forme générale des kikis en contact.
Maintenant passons au T, qui m’a valu une petite mise au point.
Pour éviter de passer pour des ballots il convient de commencer par se pencher sur le mot « trans ». Fais pas comme moi, dis « transgenre » et pas « transsexuel » s’il te plaît, sinon tu passes pour un con. J’ai testé. Et ça c’est parce que le genre ne se limite pas au sexe. Si y’en a qui suivent plus dans le fond voilà une explication rapide par notre ami l’OMS de ce qu'est le genre mais en gros les personnes transgenre sont les personnes qui ne s’identifient pas à la dichotomie de genre habituelle Homme/ Femme, pour des raisons telles que (liste non exhaustive) : ils/elles sont né(e)s dans un corps aux caractéristiques sexuelles opposées au genre auquel ils / elles s’identifient, ils/elles ne s’identifient à aucun des deux genres, etc. 
Ce blog l'explique très bien.

 

Donc tous les transgenres ne subissent pas de chirurgie de réattribution sexuelle (là aussi fais pas ton gros lourd comme ta serviteuse et ne dis pas « changement de sexe » s’il te plaît ; parce que si les sexes se « changeaient » comme des perruques de Playmobil la vie serait plus rigolotte pour plein de monde). 

Le Q quant à lui signifie « queer », « étrange » en anglais. Les personnes genderqueer évoluent à l’extérieur de la binarité masculin/féminin, elles peuvent être les deux, aucun des deux, alterner entre l’un et l’autre, voire rejeter entièrement le concept même de genre. Certaines classifications incluent les genderqueer dans la transidentité, mais je vais pas trop me lancer là-dedans parce que si tu me connais bien tu sais que l’essentiel de ma recherche académique se fait autour d’une bière dans un bistro plutôt sale qui passe du Bon Jovi, donc c’est pas trop mon genre d’aller te résumer des thèses de psycho et socio sur la question. J’estime mon temps mieux employé à boire des bières accoudée à des tables graisseuses avec mes nouveaux/elles ami(e)s.
J’invite néanmoins toutes les personnes qui liraient cette note et se sentiraient mal représentées à exprimer leur point de vue dans les commentaires. Vous avez le droit aux insultes tant qu’on touche pas aux mamans.

Adoncques.
Pour expliquer la non-binarité de genre, le mieux est quand même de laisser ceux et celles qui la vivent en parler. J’ai donc fait appel d’une part à mon petit cobaye favori, je te présente Alex, et d’autres part à des personnes ivres que j’ai attirées à l’extérieur d’un Fest-Noz, je te présente Jennifer et Daisy.

Alex

Alex

 

Comment j’identifie mon genre ? Je suis non-binaire bigenre, c'est à dire que je ne me retrouve pas dans la binarité homme/femme, je ne suis ni un homme ni une femme à part entière, mais je m'identifie aux deux en même temps. Mon genre ne bouge pas, donc je ne me sens pas plus proche d'un genre ou de l'autre à certains moments mais ça ne m'empêche pas parfois d'avoir ce que l'on appelle des dysphories, c'est-à-dire qu'il m'arrive de ressentir un certain malaise vis-à-vis de mon corps (féminin) car il ne correspond pas entièrement à mon genre.

Se sentir à la fois homme et femme ce n'est pas aimer se maquiller et jouer au rugby, ou porter des vêtements d'homme et danser le ballet. C'est bien plus profond que chercher à prendre des habitudes « masculines » ou « féminines » par rapport à la société, c'est un ressenti sur sa manière d'être, sur qui on est au plus profond de soi ; c'est une véritable question d'identité. Ce qui ne rend pas la tâche évidente est le sexe assigné à la naissance et notre éducation, ce qu’on finit par comprendre après plus ou moins de temps. Pour ma part, j’ai ce ressenti depuis l'enfance mais je n'avais jamais su mettre un mot dessus, puis avec mon éducation et l'arrivée de l'adolescence j'ai rapidement enfoui tout ça. C'est seulement à 18 ans que j'ai compris, en discutant avec les membres de mon association LGBT, que je n'étais pas la seule personne dans ce cas, que ce n'était pas quelque chose de mal, que ce n'était pas un « problème ». J'ai compris aussi que je suis à l'aise avec l'utilisation alternée des pronoms « il » et « elle » me concernant, que je ne supporte pas qu'on parle de moi comme une fille à part entière ou qu'on tente de me caser dans une catégorie binaire de manière générale, que ce soit par rapport à des comportements, des goûts vestimentaires ou autres (« mais attend ça c'est un truc de mec/meuf, tu es sûr de toi? ») J'aime bien c'est tout, pourquoi ce serait forcément réservé à un genre ?

Comment aimerais-je que la société identifie mon genre ?  Tout d’abord j'aimerais que la société ne cherche pas absolument tout le temps à connaître mon genre, nous sommes avant tout des humains et pas seulement des individus avec un sexe qui définirait notre genre. Je ne comprends pas pourquoi la société a besoin de toujours tout genrer et pourquoi elle est construite seulement pour ceux qui s'inscrivent dans la binarité hommes/femmes, que ce soit pour remplir des formulaires administratifs, des sondages, pour s'acheter des vêtements, des jeux et jouets pour enfant, etc. Vous n'avez que deux choix : être un homme ou être une femme, quand vous êtes entre les deux ça ne fonctionne pas, vous êtes justes bons à vous marginaliser. Sauf que moi je suis les deux à la fois et ça ne m'empêche pas de vivre, d'être un être humain capable de réfléchir et travailler de mes mains comme les autres.

J'aimerais en fait que la société connaisse et reconnaisse la non-binarité.
Il faudrait que cette identité ait une meilleure visibilité, parce qu’elle est totalement méconnue ; il faudrait qu'elle soit reconnue comme un genre à part entière car c'est une réalité, ce n'est pas juste un « concept inventé par deux ou trois militants LGBT réactionnaires un peu perdus dans leur identité de genre », comme j'ai déjà pu l'entendre. En fait il y a un réel problème de circulation de l’information sur la transidentité dans notre société, ce qui amène à de l’ignorance et des comportements transphobes. Lorsque j'ai fait mon coming out de non-binaire à des amis proches, seulement ceux concernés ou ceux qui se sont énormément renseignés par eux-mêmes sur internet connaissaient cette identité de genre, j'ai dû tout expliquer aux autres car ils n'en avaient jamais entendu parler et ils ont eu pour beaucoup assez de mal à bien comprendre.

Tout ce que je demande c'est que notre société soit égalitaire sur les différents genres : les cisgenres, les transgenres, et les non-binaires, afin qu'on ne ressente pas une domination, dans le sens moral, d'un genre sur les autres. J'aimerais bien que dans les papiers administratifs on me demande si je suis homme, femme ou non-binaire, et pas seulement qu'on cherche à savoir ce que j'ai entre les jambes ; j'aimerais bien que lorsqu'on se présente à un prof ou à quelqu'un de manière général on dise notre prénom et notre pronom sans que ça paraisse étrange.

En ce qui concerne mon orientation sexuelle, je suis homosexuelle, donc je ne peux avoir de relations sexuelles qu'avec des personnes du même sexe, cependant il n'y a pas que les femmes cisgenres qui m'attirent, il y aussi les non-binaires. Je n'aime pas me catégoriser comme « lesbienne » puisque je ne suis pas entièrement une femme aimant les femmes.





Jennifer et Daisy

DaisyJenn

 

JENNIFER
Comment j’identifie mon genre ? Non cisgenre, non binaire. Je m’identifie comme humain, et je vois les autres en tant qu’humains. Je ne vois pas leur genre, je ne comprends pas ce que c’est. Comment peut-on attribuer un sexe à un objet par exemple ? Pourquoi UNE chaise ? C’est quoi le rapport entre une chaise et un vagin ? Le sexe est quelque chose d’intime, je ne vois pas pourquoi il devrait s’imposer dans les relations publiques. Pour moi accorder le vocabulaire au féminin quand on parle à une femme, c’est faire constamment allusion à son vagin, je ne comprends pas en quoi cette information a le moindre rapport avec l’interaction sociale en cours. Le concept de genre me paraît complètement artificiel, créé de toutes pièces par la société. Quand je remplis des papiers administratifs je coche « femme » car c’est plus simple, mais ce n’est pas ce que je ressens. Bientôt au Canada une case « autre » fera son apparition pour ceux qui ne se sentent ni H ni F, mais pour moi cela ne règlera pas le problème. Je voudrais juste qu’on retire complètement ces cases des formulaires.

Comment aimerais-je que la société identifie mon genre ? « Humaine ». Durant toute mon enfance le genre m’a limitée. Je suis la petite dernière d’une fratrie de 5, j’ai 4 grands frères. On m’a toujours dit que je ferais une jolie réceptionniste et que je n’avais pas besoin de faire de longues études, on m’a dit que je ne devais pas m’habiller trop court pour ne pas être harcelée, et j’ai cru tout ça, je me suis laissée limiter. Rencontrer Daisy et avoir des conversations sur le genre avec elle m’a permis de comprendre que je peux être ce que je veux, je n’ai pas besoin d’être une femme et me soumettre aux normes qui leurs sont imposées si je ne le souhaite pas. Cette découverte a été une libération. Je garde un look féminin car c’est le style qui me plaît mais je ne me sens pas femme et ne souhaite pas être vue comme une femme, d’ailleurs j’ai un rapport différent aux divers attributs féminins de mon corps. Je ne perçois pas de la même façon mes seins et mon vagin par exemple. Je pense me faire enlever de la poitrine car une poitrine ronde ne correspond pas à qui je suis. J’ai un problème en particulier avec la catégorisation dans le genre féminin au travail, car j’ai l’impression que cela permet de rabaisser ou réduire au silence les femmes. Une fille qui argumente et a des opinions, c’est une bitch. Les préjugés liés au genre me font pleurer presque toutes les semaines, je n’en reviens pas de ce que je vois et entends autour de moi. Daisy et moi avons une identification semblable mais nous vivons dans un environnement complètement différent à cause de l’apparence que nous avons choisie. Daisy se fait rarement imposer son genre au travail, et on la respecte quand elle parle. Moi je me fais imposer mon genre, et mes opinions sont moins respectées. Par exemple cette semaine un collègue m’a demandé pourquoi je ne me détache pas les cheveux plus souvent, c'est tellement joli. Je lui ai demandé s'il dirait la même chose à un homme. Un autre collègue dont la copine est enceinte, m'a demandé au cours de la gender reveal party si je préférerais que ce soit une fille ou un garçon. J’ai expliqué que je ne croyais pas au concept de genre mais il a continué à insister. Maintenant qu’il sait que c'est une fille, il raconte qu’il a décoré sa chambre en rose et qu'il devra surveiller les garçons autour d’elle. Je pense qu'il ferait mieux de surveiller ses économies pour lui payer des études si elle veut être astronaute.

Comment je définis mon orientation sexuelle ? je dirais que la société me voit sûrement comme une lesbienne, puisque je suis mariée avec une femme. Mais nous ne voyons pas les choses comme ça, nous nous voyons comme des âmes. D’ailleurs je n’ai jamais pu tomber amoureuse d’une personne cisgenre car nous ne nous percevons pas de la même façon.

 

DAISY
Comment je définis mon genre ? Ca dépend. Je suis de tous les genres et sans genre. Je suis un genre à part. Ma vision de mon genre a beaucoup évolué depuis mon enfance. Je me suis posé beaucoup de questions vers 16/17 ans, j’avais la sensation qu'il me manquait quelque chose, j'enviais ce que mon frère incarnait mais pas ce qu’incarnait ma sœur. Pendant quelques années je me suis demandé si j'étais faite pour être une femme. Ensuite j'ai pensé que je ne voulais pas être une femme mais pas un homme non plus, et cette phase a duré de mes 20 à mes 25 ans. Quand j'ai rencontré Jennifer, j'ai compris que je pouvais être tout ce que je voulais. Maintenant que je suis à l'aise dans mon identité de genre, je suis aussi plus à l'aise avec mes formes féminines, je peux mettre du vernis à ongles, du maquillage, ce genre de choses, et m'en foutre carrément de l'image que je renvoie".
 J’accepte mieux mes seins depuis que dans mon imaginaire, ils ne sont plus connectés au concept hétérosexiste auquel je devais me conformer quand j’étais adolescente.

Le Canada est tolérant, ma boss m'a même demandé si j'acceptais qu’on utilise les pronoms féminins pour s’adresser à moi. Sa démarche était incroyablement bienveillante et ouverte. Je me sens flattée quand on m'appelle « jeune homme » puis qu'on est surpris quand on entend ma voix a priori féminine. L'autre jour j'étais dans les toilettes des filles et une femme est entrée, m’a vue, et est ressortie en pensant que j'étais un homme ; j'ai dû la rattraper pour lui dire qu'elle ne s'était pas trompée de toilettes. Ça m'amuse beaucoup de perturber la société.

Mon genre est fluide, j'ai mis 27 ans à le comprendre et j'en ai 30 ans maintenant. J’ai l’impression d’avoir beaucoup perdu de temps inutilement, à cause des normes sociales que la société française a essayé de m’imposer dans ma jeunesse. J'ai l'impression d'incarner la citation : "ils ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait". Je suis devenue ce que je suis quand je me suis mise à ignorer que ça n’existait pas.

Comment aimerais-je que la société identifie mon genre ? Les pronoms sexués m'ennuient, quand je parle à une femme je ne pense pas à sa chatte, pourquoi est-ce qu'on se repose sur quelque chose d'aussi intime pour caractériser les rapports publics ? Une fois ma coiffeuse chez Franck Provost m'a dit que j'avais les cheveux tellement courts qu'elle me ferait un prix coupe homme. J'ai ri. Pourquoi différencier « coupe homme » et « coupe femme », ils ne voient pas que des cheveux c'est des cheveux ?
Jenn est plus en colère que moi car nous n'avons pas la même expérience, on me respecte plus, je subis moins la discrimination de genre. Mais je suis consciente qu’elle existe, j'ai consacré deux mémoires de maîtrise au sujet du genre et dans mon métier de journaliste je prends soin d'écrire mes articles en usant du genre double (il/ elle). J'espère que nos enfants vivront dans une société qui aura compris que ces classifications sont une connerie. Pour moi, différencier c'est dénigrer. Jenn et moi nous sommes rendu compte récemment qu'on s'identifiait peu à la communauté LGBT et mieux au courant queer, qui est plus fluide. J'aime bien ce mot qui signifie « bizarre ». C'est quelqu’un qui navigue entre les genres et qui n'a pas de genre. Il/elle réunit plein de critères contradictoires. Etre queer, ça veut dire aimer une personne peu importe ce qu'elle est. Être à nu face à l'autre. Je voudrais que la société cesse d’être aussi segmentée, et je voudrais qu’on ne soit pas connoté(e)s d'après nos orientations, genres, races. Le langage c'est la base de tout, je voudrais pouvoir utiliser un pronom neutre pour me définir. C’est pour ça que j’aime bien le pronom « iel ».


Comment je définis mon orientation sexuelle ? On a l'orientation de nos fantasmes, je peux être attirée par un homme qui dégage une certaine énergie ; par exemple j'aime la féminité exacerbée des drag queens. Je ne crois pas au genre, et le concept d'orientation n'a plus de sens quand le genre n'existe plus. 

 


Ces conversations passionnantes m’ont ouvert les yeux sur une foultitude de possibilités insoupçonnées. Ca m’a fait le même effet que quand j’ai découvert que la crevette-mante peut voir 4 fois plus de couleurs que moi. Nous vivons dans une société qui verbalise deux genres,  à la rigueur trois quand on parle allemand, alors qu’il existe dans les faits beaucoup plus de nuances. C’est pourquoi certaines personnes préfèrent le neutre « iel » ou « elle/il », tandis que d’autres se cantonnent au genre masculin ou féminin par pur confort verbal. Le langage usuel n’a rien à leur proposer parce que notre monde est fait par et pour les hommes et les femmes épanouis dans les caleçons et culottes en dentelle correspondants.
Et ces personnes dont les attributs sexuels physique, l’identité de genre et le genre social sont en phase sont appelées « cisgenre ». Comme moi, par exemple (remember, nichons ++).
Il faut bien réaliser que notre société a été conçue pour nous. Les formulaires qui nous demandent de cocher la case H/F ne comportent aucun piège pernicieux, on les remplit fingers in the nose. Nous les cis on est un peu les rois du pétrole de la culotte, même le dernier des derniers comme dirait JJ Goldman, les formulaires sont faits tout exprès pour lui. Ou elle. On a la force de la majorité et c’est une telle habitude pour nous qu’on ne se rend même pas compte que cet avantage pour nous devient un désavantage pour d’autres. Ca a fait tilt dans ma tête le jour où j’ai été traitée de « cis », un peu comme quand j’ai remarqué le manque d’ascenseur dans certaines stations de métro parisien le jour où j’ai dû traîner une grosse valise, ce qui m’a amenée à me poser la question de savoir comment les gens en fauteuil roulant font (scoop : ils sont emmerdés).
Quand on réalise cette différence de traitement entre les cis et les non binaires, on réalise que c’est à la société de leur faire de la place plutôt que de les marginaliser en cédant à la facilité de les considérer comme « anormaux ». Se faire traiter de cis, et comprendre que ce n’est pas être « traité » mais « nommé »,  c’est admettre qu’on n’est pas soi-même normal, et que l’autre n’est pas anormal ; on a juste la chance d’être né(e) du côté de la majorité, qui est juste ça : une majorité, à l’extérieur de laquelle existe une foultitude de fascinantes identités qui donnent une nouvelle saveur au genre humain.

Et perso je sais pas pour toi mais moi je trouve le monde beaucoup plus magique depuis que je sais que la crevette-mante existe.

mantis shrimp

Crédit photo Charlene McBride

25 août 2017

GAYS TO STAY

 

GRIS

J’insère d’emblée un disclaimer : n’était ni sociologue ni activiste ni journaliste mandatée, je n’ai fait presque aucune recherche avant de produire ce texte et je livre en toute candeur mon point de vue de meuf qui n'a strictement aucune expérience des marches des fiertés. Je serai cependant intéressée d’entendre d’autres perspectives, n’hésitez pas à les partager dans les commentaires.

Adoncques.
Dimanche je suis allée voir le défilé de la gay pride de Montréal, mais ici ça s’appelle la marche des fiertés.
D’ailleurs y’avait écrit « bonne fierté » un peu partout, j’ai trouvé que ça faisait un peu « y’a bon Banania », je me suis donc gaussée du piètre niveau de la traduction française mais on m’a expliqué qu’il fallait le comprendre comme « bon Noël » ou « bonne année », du coup je me suis sentie pécore.

Je résumerai en deux mots cette marche des fiertés : familiale et commerciale. Finies les chaînes en inox autour du cou, les laisses en cuir autour des parties inavouables et les seins nus, naturels ou non, victorieusement agités du haut des chars. La promenade saturnale dans la galerie commerciale du Géant avec examen des promos au rayon électro-ménager est au tournant.

Je m’y attendais pas dans la mesure où j’avais assisté à une autre marche il y a environ 15 ans de ça à Berlin et la fraîche innocente que j’étais alors s’était pris en pleine face l’énergie et l’impénitence totale des acteurs de la parade. Y’avait du poil, du cuir, des fesses à l’air, des organes tenus en laisse et diverses parties anatomiques dressées (le poing mais pas que). La seule autre fois de ma vie où j’ai vu ça, c’était la Folsom Street Fair de San Francisco, qui est, elle, un festival SM dans lequel la présence de cuir et de balloches enserrées dans des colliers de chiens était donc prévisible et attendue. N’étant pas une participante assidue des Prides, je peux difficilement livrer une docte analyse de l’évolution des tendances, mais l’atmosphère à Montréal dimanche était complètement différente de celle à Berlin il y a 15 ans.
Bon y’avait bien quelques adeptes de doggy play représentés par des porteurs de seyants masques de chien en cuir, mais y’avait aussi pas mal de la poussette et du môme sur les épaules paternelles ou maternelles, dans le public comme dans le défilé. Les gosses se croyaient sûrement à une parade Disney, d’ailleurs la confusion était compréhensible vu que c’était bourré de princesses à dentelles et d’animaux rigolos.
Inutile de préciser que des gosses à Berlin y’a 15 ans j’en avais pas vu.
Mais comme ici, le mariage gay est légal depuis 2005, la PMA depuis 2003 et ce sans distinction d’orientation sexuelle (coucou le gouvernement Hollande), et que la GPA ne l’est pas encore (à part en Alberta et Nouvelle-Ecosse) mais enfin, elle est interdite pour tout le monde, les homos et les hétéros sont donc emmerdés pareil, les homos sont des familles moyennes comme les autres et on avait un climat de type promenade dominicale au bois de vincennes mais avec plus de couleurs chez les amateurs de footing.

rainbow

Donc dans cette atmosphère bon enfant tout à fait inoffensive, on a vu défiler non seulement des associations militantes, mais aussi des partis politiques, l'armée, des congrégations religieuses, et des entreprises, en particulier toutes les banques des alentours. 

AirCanada

On dirait qu'ici, avoir un char défilant sur la marche des fiertés n'est pas un acte militant, mais un simple gage de respectabilité. Ce ne sont plus les entreprises qui soutiennent les gays, mais les gays qui soutiennent les entreprises. C'est un peu comme du green-washing LGBTQ, du rainbow-washing en quelque sorte.

pinkwashing


Apparemment le terme consacré est « pinkwashing » mais je vois pas pourquoi une seule couleur du drapeau permettrait de plus prendre les gens pour des cons que les autres

Alors évidemment ça ne  plait pas à tout le monde et nombre de Québécois ont posté des commentaires outrés sur les réseaux sociaux pour dénoncer certaines des entreprises qui défilaient, et dont les valeurs sont en désaccord avec les leurs.
On avait un peu vu la même chose à Paris en Juin lorsque la section du parti "la république en marche" avait été interceptée par des contre-manifestants. Ici y'a pas eu d'interception, peut-être parce qu'ils ont pas l'émeute et la gueulante dans le sang comme les Français, mais le sentiment exprimé sur les réseaux sociaux était bien le même, c'est à dire : "on voit bien que vous utilisez l’image des LGBTQ pour vous acheter une respectabilité et on aime pas".
Je n'ai pas de commentaire social à offrir ici car de tous temps les relations publiques ont été un travail de pique-assiette.

Par contre, ce que je trouve magique c'est qu'on en soit rendu à un point où la marche des fiertés est devenue un sommet de respectabilité : on y amène les gosses, on y fait sa publicité pour tenter de vendre des trucs chiants pour adultes responsables comme des emprunts immobiliers ou des forfaits téléphoniques, et on y défile pour se refaire une virginité politique et faire oublier quelque pendable scandale (si Justin Trudeau a les oreilles qui sifflent c’est normal). Il manque plus que les stands de merguez et on se croirait à la fête du travail.
Alors évidemment y'a des gens qui observent une perte de la culture gay, et certains aimeraient que le milieu LGBTQ reste une contre-culture de licornes créatrices et punk qui se serrent les sabots entre elles, unies dans leur lutte contre l'oppression hétéronormative.
Mais en voyant les petits drapeaux arc-en-ciel avec le logo des plus grosses banques canadiennes distribués dimanche, il faut se rendre à une déprimante évidence : les LGBTQ peuvent, comme tout groupe social, faire les licornes fabuleuses pour chier dans les bottes d’une société homophobe, mais quand la société leur offre les mêmes droits que les hétérosexuels, ils saisissent immédiatement cette opportunité de devenir comme les autres - à savoir adultes, responsables et chiants.

C'est à mon sens la meilleure preuve si besoin était qu’il est complètement dans l'intérêt de la société en général de filer aux homos les mêmes droits qu’aux hétéros, et ce partout dans le monde; parce que ça reste la meilleure méthode pour dissoudre la résistance des licornes et en faire de bons petits poneys productifs, vu qu’une fois qu’ils se marient et font des gosses y'a toujours moyen de leur fourguer des poussettes et du crédit immobilier. 

7 août 2017

AU BOUT DE MA VIE AU BOUT DU MONDE

 

Ce weekend avec la fanfare on était invités au Festival du Bout du Monde.

Certes pour jouer sur la place du marché des villages qui parsèment la presqu’île de Crozon et faire décoller les ventes de saucisson, mais au festival quand même.

Et d’être artiste au festival du Bout du Monde offre des avantages certains comme :

-       Des chiottes plus propres
-       Le droit de traîner dans l’espace des artistes et de guetter nos idoles à la sortie de leur loge en affectant l’indifférence pour ne pas passer pour des ploucs, mais intérieurement on trépignait comme des fans de Justin Bieber
-       Et surtout, SURTOUT : l’accès à la cantine des bénévoles avec le pinard en free flow!!
Evidemment, quand nous avons découvert ce dernier point, nous étions comme des fous furieux.

En outre nous avions à notre usage exclusif un « poisson pilote » dont la fonction était de nous trimballer d’un marché aux bestiaux lieu de concert à un autre et qui, rodé par des années d’expérience de festival et de transport de fanfares, savait nous laisser traîner à la buvette de la cantoche juste assez pour se mettre en train mais pas trop longtemps quand même pour qu’on reste en état de tenir les instruments. Son niveau d’expertise lui permettait de jauger le niveau d’alcoolémie d’un saxophoniste d’un seul coup d’œil ; on avait vraiment affaire à un professionnel. 

Nous avons joué trois fois par jour pendant deux jours, les deux premiers concerts de la journée étant dans les villages alentour du festival, et le dernier sur le site même du festival ; arrivés au sixième concert, on était rincés comme des chaussettes. Il faut dire qu’on n’économisait pas notre peine car on était bien accueillis : les mairies nous proposaient après chaque intervention un petit goûter roboratif composé principalement d’alcool. L’apothéose fut le concert à Camaret-sur-mer. Après un début difficile car la fanfare, de façon prévisible et attendue, avait démarré par une improvisation sur « le curé de Camaret », la foule a fini par se laisser conquérir et a commencé à nous suivre dans la rue, peut-être pour nous jeter des objets à la tête. Des propriétaires de bistro nous ont proposé un coup. Ca ne se refuse pas. Lorsqu’il a été l’heure de repartir pour le concert suivant, on était attablés à la rhumerie devant des ti punch et on a tout bonnement refusé d’y aller. Un clarinettiste et un saxophoniste avaient repris leurs instruments et « le curé de Camaret », et c’est là qu’on a compris que le seul endroit de France où on ne chante pas cette chanson, c’est à Camaret justement. Le poisson-pilote, voyant le conflit et les manchettes de journaux désobligeantes arriver, réussit à nous décoller des tables pour nous emmener sur le site suivant, heureusement plus calme, ce qui nous a permis de cuver notre rhum en jouant dans une cour à l’ombre devant un stand de bijoux artisanaux en liège.

Le soir du deuxième jour, on a joué un morceau en direct sur radio bleu Breizh Isel. Malgré l’acquisition d’un piccolo qui me permet de couiner deux octaves plus haut qu’avant et donc de nuire aux tympans du public de façon plus nocive, on ne m’entend toujours pas, mais au moins je m’entends (c’est un bonus intéressant comparé à la flûte, avec laquelle je ne m’entendais même pas. J’ai découvert avec le piccolo qu’en fait je jouais faux depuis le début). Mais lors du concert pour Radio Bleu, les autres musiciens dopés par l’idée de jouer pour leur mamie qui écoutait de chez elle soufflaient dans leurs binious avec un tel entrain que je ne m’entendais même plus. Je crois qu’on a eu quelques ruptures de tympans et de pacemakers au premier rang. Ensuite on était chauds cacao pour le dernier concert, et le public de festivaliers bourrés, enthousiastes et peu regardants sur les fausses notes et les défauts d’ensemble, nous fit un triomphe. Une jeune sourde vint me voir pour m’expliquer qu’elle adorait notre groupe parce qu’elle pouvait sentir la musique, ce qui en dit long sur le travail fourni par la grosse caisse et les basses. Elle tomba au sol ivre morte peu après.

On sautait partout. Un groupe de festivaliers particulièrement entreprenants faisait un mini slam assis en se passant de main en main un de leurs potes bourrés. Je faisais le moulinet avec mon piccolo (j’entendis après coup que j’avais ainsi couvert de ma bave une bonne partie de la fanfare). On cassait la baraque. Après avoir joué une bonne demi-heure de plus que ce qui était prévu, tenant à peine debout nous finîmes par déclarer forfait et battre en retraite face à une meute de festivaliers imbibés qui réclamaient une aut une aut, pour aller prendre un apéro amplement mérité.

Après l’apéro on allait voir les concerts.

J’ai eu de beaux moments de communion humaine, comme par exemple lorsque Keny Arkana était sur scène et interprétait « Nettoyage au Kärcher », et que je me trouvais au milieu de festivaliers évidemment ronds comme des boudins qui gueulaient « ooooouh *insérer ici nom de président au votre choix mais pas antérieur à 1990 sinon ils connaissent pas* enculé !! »,  levant haut leur poing de gens pas contents. J’ai eu le net sentiment qu’en première ligne des sans culotte menaçant l’Elysée on ne trouverait probablement pas ces courageux révolutionnaires de festival qui prenaient des photos avec leurs smartphones en profitant de l’excellente sono, produits l’un des terres rares exploitées par les Chinois dans des conditions douteuses[1], et l’autre de l’énergie nucléaire[2], un peu au détriment du discours alter mondialiste et environnementaliste de l’artiste me semblait-il. Elle a souligné de façon peut-être involontaire l’ironie de la situation en terminant sa chanson par les mots « un jour faudra joindre les actes à la parole quand même ».

Mais ça restait malgré tout bonne ambiance, il y avait moins de déchets au sol qu’aux Vieilles Charrues et, même si les festivaliers étaient probablement aussi saouls et partageaient le même appétit pour la miction en public, il y avait un peu plus de savoir-vivre. On savait tomber à terre raide bourré et renverser sa boisson sur les gens avec classe.

Au final on a entendu des tas d’artistes super, on a groové sur Bcuc, Boban Marcovic, Chinese Man et plein d’autres, on a eu des chiottes propres et du gros rouge qui tache à volonté. Ca vaut le coup d’être fanfaron.

Et pour vous encourager à vous lancer dans cette voie je vous laisse avec un exemple de fanfare qui sait ce qu’elle fait, elle :

#Trans2016 | La fanfare MEUTE dans le métro de Rennes - Full performance

 

 

 



[1] http://www.geo.fr/environnement/les-mots-verts/definition-terres-rares-scandium-yttrium-et-lanthanides-124433

[2] Il faut quand même reconnaître que le festival fait des efforts pour limiter son impact environnemental, même si je ne vois pas bien en quoi distribuer des pisse-debouts en carton entre dans la catégorie « développement durable »  : http://www.ouest-

3 août 2017

SPEED DEMON (cul)

Aujourd’hui j’ai oublié mon sac à mains dans le bus.

Ca faisait guère que deux mois que ça m’était pas arrivé.

Et cette fois-ci pour pimenter les choses j’ai choisi le bus Quimper > Roscoff. Et je ne me suis rendu compte de la disparition du précieux pochon contenant mes menues essentialités (carte de crédit, argent liquide, carte d’identité, téléphone portable, et surtout le livre de Hervé Bazin que je lis en ce moment) qu’après l’arrivée chez mes parents. N’écoutant que ma rage (j’avais pas fini le bouquin), j’attrappai les clefs de la voiture de papa et me précipitai aux trousses du bus, dont le terminus était Roscoff, à 45 minutes de route. Mon objectif était de l’attrapper avant qu’il reparte dans l’autre sens, avec mon sac, vers Quimper. J’aimerais décrire une haletante scène de course-poursuite dans la droite lignée des meilleurs extraits de Fast And Furious, mais pour expliquer pourquoi c’est pas possible, je précise qu’il s’agissait des cars Penn Ar Bed (niveau visuel le bus de Speed est une fort Mustang en comparaison), je conduis une Peugeot 208 avec un A sur le cul, et de toutes façons sans le GPS j’y arrive pas.

Après quelques errances rapport au fait que le GPS qui m’aurait permis de m’orienter est dans google maps qui est dans mon téléphone qui est dans le sac qui est dans le bus qui est je sais pas où, DTC / CQFD, j’arrivai sur le port de Roscoff à l’endroit où le bus était supposé faire relâche.

Je garai la 208 comme un membre de la famille des suidés, genre phacochoerus, et remarquai tout de suite que de car, point. J’allai donc pleurer Causette au comptoir de l’office du tourisme où, avec une amabilité à toute épreuve, les dames appellèrent pour moi tous les bureaux de la compagnie de cars de Quimper à Brest en passant par Carhaix sans arriver à savoir où le chaffeur planquait son bus pendant sa pause. Tout le monde essaye de l’appeler et lui laisse des messages, mais il ne répond pas. A chaque fois qu’ils font le trajet, le mec et son véhicule semblent juste disparaître de la surface de la Terre durant les deux heures de battement entre le trajet aller et celui du retour. (Je crois fermement qu’il le transforme en cabaret burlesque et qu’il donne des représentations près de l’embarcadère des ferries).

Les dames ayant réussi à déterminer l’arrêt de bus d’où il effectuera son départ, je me poste devant l’abribus et guette de toute la force de mon âme. Après environ 30 minutes de veille intense, je l’aperçois qui arrive, mais dans l’autre sens ! Je lui cours après. En fait il était bien dans le bon sens, il allait juste faire le tour au rond-point pour revenir. Je lui cours donc après tout autour du rond-point. Heureusement il y a des embouteillages et il n’arrive pas à me semer. Lorsqu’il ouvre les portes, je me jette dedans tête la première. Il ouvre des yeux incrédules et s’exclame : « mais je t’avais pas laissée à Morlaix toi ? »

Je lui explique. Mon sac, Hervé Bazin, les messages sur son téléphone, tout. Il me laisse inspecter les rangées de sièges vides. Je retrouve mon précieux sac là où je l’avais imprudemment laissé tandis que le chauffeur découvre que ses collègues, harcelés par l’office du tourisme harcelé par moi, lui ont laissé environ 150 messages. Je fuis avant qu’il se mette en colère. Je sors du parking sans écraser de touriste anglais ni bugner de taxi, et je reprends la route pour Morlaix en me perdant à peine plus qu’à l’aller malgré l’adjonction d’une conversation avec Mikan sur haut-parleur pour débriefer au sujet du nouveau gilet de sauvetage de son chien (nos conversations sont passionnantes).

Je suis arrivée à temps pour le dîner et c’était tarte aux légumes du soleil avec de la feta et c’était bon.

Mais au final je suis quand même déçue car je découvre en poursuivant ma lecture que finalement, dans le livre, le gosse, IL EST PAS DE LUI.

J’aurais mieux fait de laisser mon sac dans le bus.

KeanuBoardsBus2

11 décembre 2016

MERCI LES COPAINS

Bon alors voilà.

C’est le retour de l’ingrate. Tu as bien entendu découvert les youtubeurs depuis et ceux d’entre toi qui suivaient encore ce blog il y a quelques années ont depuis perdu la faculté de lecture. C’est pas trop grave, moi de mon côté j’ai perdu celle d’écriture alors tu vois on se comprend.

Je compte plus trop mais on doit être dans les trois ans d’absence, à ce stade j’ose plus te dire que je suis descendue acheter des clopes et que j’ai rencontré Jacqueline sur la route, ni même que je me suis faite renverser par une ambulance dont le conducteur a prélevé et vendu illégalement un de mes reins sur le marché chinois pour financer son addiction à la cocaïne. Tu as suffisamment vu d’épisodes de Docteur House pour savoir qu’une ablation du rein ça met moins de trois ans à cicatriser, même quand on est enfermé dans un camp militaire chinois suite à une amusante méprise durant un transfert à l’aéroport de Guangzhou où l’opératrice qui relève les numéros de billet d’avion à la main t’a pris pour un adepte de Falun Gong. Tu as un beau-frère fixeur chez TV5 Monde qui connaît bien les camps militaires chinois et tu sais donc que normalement quand t’as plus de reins ils te relâchent.

Donc voilà.

Je suis à cours de faux-semblants donc je confesse la vérité.

Depuis qu’on s’est causé, j’ai quitté le Japon dans une allégresse psychotique, les cuites successives voire même simultanées ne me laissant aucun souvenir précis si ce n’est que la poste m’a perdu au moins deux colis de documents précieux dont celui qui me donnait droit à sept ans de prestations retraite en France, les salopards. Si d’ici trente ans tu me vois dans un carton devant la gare routière pas loin de chez toi tu sauras pourquoi, alors si tu veux bien me lâcher un cubi de rouge pour me tenir chaud, je t’en serai reconnaissante.

Par la suite j’ai vécu à Singapour, pays ne me laissant aucun souvenir si ce n’est l’impression qu’une végétation luxuriante et une architecture tourneboulante d’audace et d’esthétique peuvent servir à recouvrir une population dont une grande partie, formattée par un système scolaire dictatorial à ne pas réfléchir, est riche d’une économie florissante mais pauvre d’à peu près tout le reste à commencer par l’esprit critique ou la curiosité culturelle. Tu me connais, il me faut pas grand-chose pour me sentir baigner dans la fulgurance intellectuelle (en général une bière, une chanson de Bon Jovi, une partie de cap’s et je me sens bien à niveau) mais même moi j’ai réussi à m’emmerder. Les étrangers ne vivent à Singapour que pour partir en vacances dans les pays pauvres alentour où leur pouvoir d’achat leur permet de passer pour les rois de la colline à pas cher. Les Singapouriens ne vivent à Singapour que pour faire la même chose mais en étant fiers d’être Singapouriens, ce qui est du reste compréhensible puisque Singapour est l’économie dominante de la région et en conséquence vend du rêve aux travailleurs immigrés, lesquels viennent pour construire les bâtiments dans des conditions de travail légèrement plus confortables que le goulag (ils sont au chaud), ainsi qu’aux bonniches philippines qui viennent tenir les ménages, torcher les enfants et coucher avec Monsieur si Madame est indisposée.

Ca ça a dû durer deux ans, à la suite desquels j’ai jeté le pompon sur la Garonne pour réintégrer ma Bretagne profonde. Je profite bien à fond des paysages verdoyants, du crachin mouillissant et de la cuisine maternelle nourrissante en repoussant le jour où je devrai cesser de faire mon Tanguy et réintégrer le vrai monde de dehors, celui où le bœuf bourguignon ne mijotte pas tout seul sur les plaques de cuisson et où effectuer quelques traductions par mois ne suffisent plus à assurer une subsistance car l’Etat a besoin de sous.

Heureusement, comme d’habitude, les copains sont là avec leurs bons plans.

Les mêmes qui venaient chez moi à Osaka pour m’aider à faire les cartons, et les autres que j’ai eu l’heur de rencontrer à Singapour. Le nombre de fois où les copains sont descendus sur mon existence pour me sauver les miches tels des deus ex machina jurants et légèrement imbibés se comptabilise dans la même unité que les interventions divines dans la Bible. Donc beaucoup. Singap ne fit pas exception à la règle, car j’y rencontrai Coco. Imagine une écolo échevelée qui fabrique ses propres cosmétiques, végétarienne sauf quand tu as cuisiné un ragoût de bœuf, et à qui les légumes emballés dans du plastique non recyclable tirent des larmes de désespoir. Ca ne te surprendra pas d’apprendre qu’elle a réussi à faire chanter des chansons à toute une rame de métro singapourienne et qu’elle a monté un réseau de distribution parallèle pour écouler une partie du stock de produits alimentaires jetés par une entreprise d’import dont je tairai le nom. Ca ne te surprendra pas non plus d’apprendre que, faible et influençable comme je suis (une bière suffit à me convaincre de la validité de toute opinion en général et je suis désormais une ardente admiratrice du Flying Spaghetti Monster), je suis à présent convaincue que la survie des chimpanzés est une cause vitale qui mérite même l’abandon du nutella. Je sais pas si tu mesures l’ampleur du sacrifice.

 

Les copains arrivent toujours à te faire faire de ces trucs. Comment j’ai échappé de peu à la charrette qui passait dans les locaux de mon premier employeur en grinçant lors de la crise financière de 2008 ? les copains. Comment j’ai transitionné d’un boulot peu inspirant dans la logistique vers un boulot dont l’avantage conséquent était un entrepôt plein de bouffe ? les co… tiens non là c’était le tapin. Comment j’ai transitionné vers un autre entrepôt plein de bouffe à Singapour sauf qu’elle était meilleure et le salaire aussi ? Encore les copains. Comment je sais que le commerce me gonfle et que ce qui m’intéresse en vrai dans la vie c’est filer des graines aux pinsons et militer pour une meilleure gestion de la fiente de porc, ce qui me pousse à reprendre des études à mon grand âge au lieu de me trouver un petit boulot douillet dans un bureau avec chauffage et photocopieuse ? Voilà.

Merci les copains. Comme d’hab grâce à vous je vais me coller dans un merdier pas possible. Sans vous mon foie serait sans doute en meilleure santé mais par contre je serais jamais sortie de France et je serais probablement traductrice à domicile dans le sous-sol de mes parents en charentaises avec un gros problème d’anxiété sociale et un penchant pour les chats angora.

Love sur vos gueules.

 

 

 

 

 

 

 

 

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The Truffe Diaries
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